Repas Végétarien [Etoile]

J'entre dans le réfectoire dans un état léger de fatigue. J'ai un peu de mal à dormir par ici... Je crois que j'ai de mal à prendre mes marques...Ou qu'il me manque une chose que j'ai abandonné...Des amis.
J'observe les lieux et me dirige avec lassitude vers le self.

-Un repas végétarien je vous prie...

Je suis très voire trop calme. Je souris à la demoiselle de service et prends mon plateau. Après avoir attrapé une cruche d'eau et des morceaux de citron normalement destinés pour le poisson, -Dieu merci on bouffe bien nous les gardiens- je me dirige vers une table et je m'assois pour ensuite sortir une fiole de solution hydro-alcolique. J'accorde une certaine importance à l'hygiène. Je me lave rapidement les mains et range la fiole dans ma poche. Je me sers un verre distraitement et commence à manger mes légumes en regardant les lieux et les gens. Aurai-je une journée calme ?

J’ai rêvé d’elle. Cette nuit, elle était dans mon sommeil. Et ça m'a fait tout drôle. J'ai pas l'habitude de l'y voir. Elle s'y est introduit comme ça, comme une voleuse. Et dans mon rêve, j'ai même senti son parfum de bonheur. J'avais l'impression qu'il recouvrait les murs, imprégné partout. Et dans mon rêve, elle n'avait pas sa hauteur. Elle était accessible, elle était à ma portée. J'avais l'impression que mon sommeil l'avait rendu palpable, en chair et en os. Je l'ai touchée. J'ai senti son enveloppe intacte, j'ai été surprise : douce, pas rugueuse. Sa main a pris la mienne naturellement, normalement. Comme il se doit dans un rêve. Elle m'a embrassée aussi sans que ça me gêne. Tout ça me laisse dans un état bizarre.
C'est des trucs d'enfant ça, de croire à l’âme sœur, de rêver d’elle toute la nuit. Ou ça peut être le résultat du transfert que j'aurais effectué sur elle. Des fantasmes quoi ! Et pourtant je ne peux pas m'empêcher de me dire que j'aurais aimé que ce soit vrai. Parce que la chaleur dans mon sommeil, il ne faut pas se leurrer, c'était pas le chauffage. Je la vois dans cette cellule, je l'ai reconnue. C'est elle cette nuit qui m'a tenu compagnie.

C'est une envie de communiquer qui me replie sur moi même. Il faut trouver, le brin de terre nu et fou. Un jour, un jour bientôt peut être. Pour le moment, je n’accepte pas.

Je suis obligée de l'oublier. Je le ferai un jour. Par ce que je suis obligée, par ce que c'est l'ordre des choses. Je n'ai pas le choix, je n'ai pas de putain de choix. Non non non. Il faut que je l'oublie, je l'oublierai et toute cette fichue révolte de l'intérieur ne servira à rien. A RIEN. Tout cela doit POURRIR, alors ça pourrira. Même si au fond... JE NE VEUX PAS. Mais je peux RIEN faire. La machine est en marche, pour mon bien, elle va faire son boulot, je la sens qui va écraser tout cela. Je ne peux pas la sauver. Pour l'instant je m'interpose, mais pas toute une vie. Je suis déjà tellement fatiguée à me protéger de partout, à me préserver, à vivre tout cela au mieux. Il parait que j'ai réussie mais je suis exténuée. Je verrais bien qu'espérer encore me servira à rien. C'est juste... INJUSTE. Pourquoi n’ai-je pas le droit ? Pourquoi ai-je le droit de vivre cela? Je sais c'est idiot, je sais que c'est fou, je sais que mon amour est presque un amour malade. Je sais que ce mot amour est laid, que prononcé comme cela il me donne envie de vomir. CA ME TUE. Comment je vais faire ? Comment je fais sans elle ? Comment ? Comment ? Comment ? Pourquoi mes rêves me tuent ? Pourquoi ils m'enlèvent l'envie de réalité ? Pourquoi ces mots ont été les derniers qu'elle me dira à jamais ? Je veux qu'on se parle encore. Je veux qu'on s'écrive. Ok, on ne s'aimera jamais, ok, j'aurais pas le droit à cela. Mais non, pas tout lâcher, je vous en prie. L'heure est à la réalité et je la refuse même si elle s'impose. Je veux du temps. Quelque chose entre les deux. Pas ce vide. J'ai peur. Je vais faire comment avec ce vide ? Je fais comment avec ce vide ? Je fais comment sans elle ? Sans les sourires, les regards, les mots, tout tout tout. Je SAIS que je vais trouver, je sais que je vais finir par accepter cette connerie mais j'ai pas envie, profondément, j'ai pas envie. Je ne suis pas prête. Ca va trop vite. Je ne voulais pas tout couper, comme cela, aussi brutalement, pas ce choc.

NON NON NON. Encore un peu. un peu de douceur, merde. Il faut m'aider. Je ne peux PAS tout gérer. Je ne peux pas. Je ne veux pas. C'est encore trop présent. Je me lève, je fais n'importe quoi. Je pense à elle. C'est IDIOT. Je sais ! Mais j'y pense. Et c'est une des seules chose qui me fait plaisir. Je n'ai plus envie de rien, je ne veux pas de l'avenir, pas comme cela. Pourquoi suis-je si excessive ? Pourquoi me sens-je obligée de penser de façon si pathétique ? Tout est plus fort que moi, que ça soit cet ordre des choses qui va tout écraser, que ça soit mes sentiments qui me prennent à la gorge en hurlant qu'ils ne veulent pas mourir. En fait, je crois qu'ils viennent juste de se rendre compte qu'ils sont vraiment obligés. Et puis, l’idée que je ne la verrais plus jamais s’impose à moi, si fortement. Alors mes sentiments hurlent, se révoltent. Je les comprends. C'est horrible de devoir les laisser. Mais je DOIS le faire. Je n’ai PAS LE CHOIX. Depuis le début que cette histoire est réglée, je n’ai rien demandé moi. Je n'avais rien demandé. J'ai tout fait. Je me suis coupée en deux, je me suis cassée en morceaux, dès le début, par ce que je savais que c'était dangereux, que je fonçais dans le mur. J'ai compris que ça ne servait à rien, que c'était juste toxique. Alors, j'ai essayé de vivre avec. Comment pouvais-je lutter ? J'aurais pu faire quelque chose pour que les choses évoluent différemment ? Oui, je l'ai aimée encore plus, toujours plus profondément. Oui, je ne savais pas que c'était possible. Que j'étais capable d'aimer. Je ne connaissais pas l'amour moi, il faut me comprendre. J'ai tout essayé. TOUT. Toutes les solutions, les résolutions, les attitudes. J'ai eu des périodes différentes. Et à chaque fois, tout était encore plus fort, au final. J'ai tout découvert. Le bonheur, la douleur, la tristesse, l'espoir, la joie pure, le désir. Elle m'a fait tout découvrir. La vie, merde. Oui, j'ai découvert la vie, je l'ai encore plus aimée qu'avant, j'ai appris à l'aimer encore plus que je pouvais l'adorer avant. J'ai compris énormément de choses, j'ai compris la poésie, les paradoxes, l'équilibre, l'homme. Tant de choses, trop de choses. Et j'ai vraiment lutté. Mais... j'ai connu tellement de bonheurs. Juste la voir ou... que sais-je ? Tant de choses tellement magiques, tant de moments clés, tant d'instants qui me font sourire, rayonner dès que la pensée m'effleure l'esprit. Mais pas le vide, ne me poussez pas. Je vous en supplie. Pas le vide. Mais vous m'empêchez de voir. Je m'empêche de voir ? Mais avec ce bandeau sur les yeux, je ne peux plus réfléchir. J'ai tout fait toute seule. J'ai vraiment évité le pire. « Dans ce genre de situations, énormément de gens tombent malades ou ont des comportement déviants... » Je n'ai pas cédé. Je n'ai jamais cédé ! J'ai été forte, comme jamais, j'étais fière de moi vous savez. Et c'est peut-être la première fois de ma vie. Et il faut tout gâcher ? Je ne peux pas continuer à avancer les yeux ouverts et sauter plus tard ? De moins haut. Il me faut laisser partir. Me bousculer, c'est me frustrer, m'obliger même à recommencer tout encore une fois. Je ne sais pas si j'y arriverai. Il faut tout consumer. Mais il faut me faire confiance. Une chance. A chaque fois ça a marché. Je n'ai jamais failli avec cette histoire, je ne suis jamais allée trop loin. Toujours toujours toujours, j'ai respecté ma promesse. Là, j'ai joué toutes mes cartes : il faut me détacher les yeux et m'en donner une autre, une seule. Pour l'instant, je ne peux résoudre qu'à vous attendre. Le temps me précipite peut-être un peu chaque jour, je m'en fous. J'attendrai le dernier moment. Je continue à travailler sur moi. Sur la confiance, sur elle et sur les autres. Je suis morte de trouille, morte de fatigue mais j'avance.

J'ai accepté la vie. Depuis toute petite. J'ai accepté la mort. J'ai accepté l'échec. Je dois accepter la douleur, je n'y arrive pas. Le rempart de mes peurs les plus profondes. Ca va céder, ça va céder. Je suis à bout mais je tiens encore. Je n'arrive pas de toute façon à exprimer. Par ce que je n'arrive pas à en parler, alors que j'en ai besoin. Je me sens seule. MERDE.

Dans le réfectoire, il y a seulement une personne, une gardienne. En tout cas, elle mange à la table des gardiens. Je la regarde sortir ce flacon et s’en induire les mains. J’en sourirais presque. J’ai seulement pris une pomme. Si ça ne tenait qu’à moi, je ne mangerais plus mais les gardiens ne sont pas de cet avis alors je mange. Mais le strict minimum. Doucement je m’approche et m’assoie en face de cette gardienne que je ne connais pas et dont je me fiche éperdument. Si je me suis assise à cette table, c’est pour… ah, je n’ai aucune raison d’être ici. Je croque dans ma pomme sans grande conviction et, posant mes yeux d’un vert terni sur son visage, demande :

« Vous utilisez aussi ce produit après avoir touché un détenu ? »

J'ai presque masqué l'ironie de ma phrase, sans doute pas assez.

J'observe la demoiselle de haut en bas. Hmmm...Elle est mignonne...Mais sa tête me dit quelque chose. J'essaye de voir si je ne l'avais pas déjà vue dans les dossiers de Sadismus. Mmh oui..Je n'ai pas eu envie de prendre connaissance des dossiers des nouveaux détenus...J'irai une autre fois...Quand la motivation me prendra...

Elle m'observe un moment elle aussi. Je la regarde dans les yeux et l'entends me jeter une phrase comme un jet de venin au visage.

« Vous utilisez aussi ce produit après avoir touché un détenu ? »
"Je vous trouve bien acide Etoile...Vous ignorez qu'il faut se laver les mains avant un repas ? Je pense que détenus comme gardiens devraient prendre soin des règles d'hygiène."

Je commence à manger ma salade calmement.

"Viols et meurtres si je me souviens bien...Mmh...Vous n'avez pas le profil d'une violeuse pourtant...Une aussi jolie fille..."

Je continue de manger en souriant et tend un sachet de petits légumes découpés, aujourd'hui j'ai fait un mélange carottes/radis/tomates cerise/concombre.

"Prenez en un peu...C'est super bon..."

Je bois un peu d'eau et attends la réaction de la demoiselle que je sens seule.

"Je vous trouve bien acide Etoile..."

Le reste m’importe peu, seule cette phrase compte et d’ailleurs me fait sourire. Oh pas un sourire amical, je ne sais plus faire. Et personne d’autre à part elle ne pourrait me réapprendre à sourire, quant à rire… ne m’en parlez même pas ! J’ai banni tous ces mots de mon vocabulaire, annihilé la moindre trace de bonheur, consumé les dernières braises de mon humanité. Ce qui est assez drôle, c’est de voir à quel point on peut pousser les gens à bout. Je sens bien que cette gardienne ne sera pas facile à écraser. Vous me demandez pourquoi je fais tout ça. Est-ce par goût pour le sang ? Est-ce dû à des tendances sadomasochistes ? Rien de tout ça. J’ai juste envie de m’amuser un peu. On ne peut pas dire que les détenus aient le droit à beaucoup de divertissements dans ces lieux lugubres. Par conséquent, il faut savoir se montrer inventif. Et cette gardienne, assise là, toute seule, devant son assiette, est un divertissement de luxe. Le but du jeu est très simple, désuet même. Pour remporter la partie, je dois la faire sortir de ses gonds, l’énerver au point qu’elle ne puisse même plus voir ma tête en peinture. L’idée qu’on fasse un portrait de moi est pourtant bien alléchante ! Intérieurement, je suis aux anges. Mon visage, lui, reste de marbre, la tristesse ayant recouvert la moindre parcelle de peau, ne laissant pas de place pour d’autres sentiments.

Je me contre-fiche de son bref exposé sur l’hygiène. Dans le fond, je veux dire. Elle peut bien me raconter ce qu’elle veut, elle porte autant de microbes sur elle que nous. Qu’elle soit gardienne ne change rien. Les microbes s’accrochent partout, sans exception. Et ce n’est pas sa maigre solution hydro-alcoolique qui va contrer toutes les attaques bactériennes. Néanmoins, la trame est intéressante. Elle vient de m’offrir un de ses points faibles sur un plateau d’argent. La saleté… Elle ne le voit pas mais je jubile. Plus rien n’importe à part cette information si précieuse à mes yeux. Elle peut bien me dire ce qu’elle veut, des insultes, de la mièvrerie, de la moquerie. Tout me passera au-dessus de la tête ! Me voilà apaisée. Elle l’est aussi, je sais qu’elle maîtrise le ton de sa voix, place les mots dans le bon ordre pour qu’ils aient plus d’impact. Ceux-ci se révèlent percutants. J’avais noté qu’elle connaissait mon prénom mais voilà maintenant qu’elle m’énonce ce pourquoi je suis ici. Elle n’est peut-être pas si bête qu’elle le paraît. Sur mon visage, aucun sentiment ne transparaît. Je ne suis nullement impressionnée par ce déballage de savoir. Au contraire, je suis amusée qu’elle en sache autant sur ma personne. Ces derniers mots m’invitent à y répondre au plus vite :

« Merci du compliment… je suis heureuse de savoir que je vous plais. »

Remarquez, je n’ai pas relevé sa constatation quant à mon statut de violeuse. J’aurais très bien pu lui lancer ironiquement : « Tu veux tester ? » mais la force m’a manqué. Je resterais dans une ironie moins marquée pour le moment. La pomme à moitié croquée, je la regarde manger avec un certain appétit. Ca reste mieux que ce que l’on sert aux détenus. On nous sert de la merde mais on ne veut pas que l’on maigrisse, cherchez l’erreur. Je ne sais pas comment interpréter son sourire. Est-il moqueur ou sincère ? Je dois avouer qu’elle me donne du fil à retordre. Néanmoins, je n’abandonnerais pas maintenant, ce serait perdre ma partie. Et rien n’est pire que la défaite. Tandis que je réfléchis à la tactique à adopter, elle me tend un sachet qui se révèle être rempli de légumes en tout genre. Super bon… Je demeure silencieuse, contemplant cette offrande avec suspicion. Finalement, prenant sur moi, je déclare d’un ton morne :

« Je n’ai pas faim. J’ai déjà du mal à finir cette pomme. »

Un absolu en quête de soi trébuche dans la coïncidence de l'instant. Bella, tu me faisais me sentir entière. Jamais, je ne hurle la vie en attendant le toi qui me libère enfin de ma prison conforme. Aide-moi, mon amour. Et les mots semblent pâles, semblent flous, pourquoi ? Pourquoi tu… Les mots fuient. Je te comprends, tu sais. Etre partie d’ici, le choix n’a pas été trop difficile. Entre la liberté et moi, pas de doute possible. Tu as choisi le vent qui caresse allègrement ton visage, les champs de coquelicots en plein soleil, la mer qui trébuche sur tes pieds, la paix intérieure… Oh comme je t’envie ! Et tu m’as laissé là. Des remords, en as-tu eu ? Je ne le saurais jamais. Bientôt, je ne serais plus de ce monde et tu penseras que je n’ai été qu’un esprit qui t’a rendu visite pendant tout ce temps pour te redonner courage dans cet univers de brutes. C’est presque vrai. Je suis, je le crains, plus à moitié-morte qu’à moitié-vivante. Je me suis dit que je pouvais faire sans toi. Que j’avais vécu tant d’années avec la prison sans toi. Et que, par conséquent, je pouvais survivre comme j’avais survécu. Mais tout est si différent. Parce que, depuis que tu n’es plus là, je ne vis plus.

Je déglutis en silence. Ces pensées ont fini par me couper l’appétit pour aujourd’hui. La pomme gît sur la table, preuve que j’avais la volonté de manger. Mais que cette volonté s’est volatilisée aussi vite qu’elle était apparue. Je soupire. Mon regard terne balaie la salle sans grande conviction pour finalement revenir sur le visage sévère de ma gardienne. J’en aurais presque oublié le jeu ! Mon cerveau se remet en marche, faisant fonctionner mes cellules grises à une allure déraisonnable. Jusqu’à ce que ces dernières trouvent de quoi se sustenter. L’information arrive jusqu’à ma bouche, il était temps. Plus bas, je lui intime :

« Oh et puis, il ne serait pas bon de manger dans le même plat, j’aurais trop peur de vous contaminer… »

Ah ! Ironie quand tu nous tiens ! Il y a toutes cette choses qui bouillonnent dans ma tête, ma santé qui vacille, mon énergie qui part en fumée, mon moral qui reçoit de réguliers coups de marteau. Mon cœur s'emporte. Encore encore. Ma sensibilité en est exacerbée.

» Etoile Archantaël